L'arbre du voyageur by Tsuji Hitonari

Auteur:Tsuji, Hitonari [Tsuji, Hitonari]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Mercure de France (Éditions du)
Publié: 2003-11-09T04:00:00+00:00

10

J’arrivai au Jardin d’Éden cinq minutes avant que cela ferme, après avoir flâné toute la journée dans le quartier de Shibuya. Une douce musique coulait des haut-parleurs, accompagnant l’annonce de la fermeture des portes du grand magasin. La boutique se détachait nettement, sous la colonne publicitaire où brillaient des lettres de néon. Je reconnus sans peine Yasuda parmi les employés qui commençaient à ranger les plantes exposées. Il transportait, ou plutôt traînait sur le sol en béton, un pot contenant une plante tropicale plus haute que lui, à la forme étrange. Les feuilles écartées en forme d’éventail, dressées au bout d’une longue tige, étaient épaisses et brillantes comme celles d’un bananier.

Yasuda s’interrompit un instant dans sa tâche en s’entendant appeler, et se retourna.

« Dis, qu’est-ce que c’est, cette plante ? »

Il s’essuya le front de la manche et répondit :

« L’arbre du voyageur. »

Touché par l’écho plein de douceur de ce nom, je le répétai à voix basse : « Tabibitonoki, l’arbre du voyageur… »

Yasuda hocha la tête et reprit, tout en enlevant ses gants de travail :

« C’est ça. On peut aussi l’appeler ryojinboku, en prononçant les caractères à la manière chinoise, ou également bananier éventail, mais c’est sous le nom d’arbre du voyageur que cet arbuste est généralement connu. »

Nous restâmes un moment à contempler tous les deux la plante en silence, en hochant la tête. Le vent froid de la nuit soufflait autour de nous, faisant trembler et bruire les feuilles devant le magasin.

« Ce nom vient d’une particularité : l’eau s’accumule dans cette partie, tu vois, expliqua Yasuda en désignant la base du pétiole. Les voyageurs assoiffés coupent la tige à cet endroit et se désaltèrent avec l’eau qu’elle contient, c’est pour cela qu’on l’appelle arbre du voyageur. C’est une plante-chameau, en quelque sorte.

— Eh ! », murmurai-je, surpris, ce qui encouragea mon compagnon à poursuivre, d’un air aussi fier que s’il vantait les mérites d’un membre de sa propre famille :

« L’arbre du voyageur est originaire de Madagascar. Tu as entendu parler de ce pays, non ? Une île située tout près de l’Afrique, traversée par le tropique du Capricorne… C’est vraiment tropical, par là-bas. Je n’y suis jamais allé, mais il doit faire chaud, c’est sûr. On est vite mort de soif dans un endroit pareil. C’est ce qui rend cette plante si précieuse pour les voyageurs. »

Yasuda toucha les feuilles en éventail. Effectivement, on aurait dit des feuilles de bananier.

« Maintenant, il fait seulement cette taille, mais ce genre d’arbuste atteint facilement dix mètres de haut. Les plus grands vont même jusqu’à trente mètres. »

« Trente mètres », répéta-t-il à voix basse, puis il leva la tête vers le ciel envahi par l’obscurité.

« Incroyable », murmurai-je en hochant la tête et en suivant la direction de son regard.

Devant nos yeux se dressait un arbre du voyageur immense, plus haut encore que la colonne publicitaire qui scintillait dans la nuit de tous ses feux.

Nous restâmes silencieux un moment, absorbés par cette vision. On ne voyait ni lune ni étoiles dans le ciel.

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